2023-10-04 - Arts et Métiers Mag : À quels problèmes les investisseurs font-ils face dans leur prospection de terrain industriel ?

Interview de Christian SCHOR - « Friches industrielles : une course d’obstacles »

L’initiative « Territoires d’industrie », voulue par le gouvernement pour accélérer l’installation d’usines en France, gagnerait à être plus largement mise en œuvre selon Christian Schor (Cl. 184), cofondateur de La Fabe, une société spécialisée dans le développement de terrains industriels « prêts à l’emploi » et pionnier des « smart buildings » connectés et durables.

Christian Schor : Les collectivités territoriales ont de plus en plus de mal à proposer des terrains, aussi bien les petites localités que les grandes métropoles. Parfois, cela tient simplement à la raréfaction du foncier, parfois à une politique volontariste contre l’artificialisation des sols, comme sur le Grand Lyon où l’on est passé de 250 ha disponibles il y a dix ans à moins de 30 ha aujourd’hui. En effet, les objectifs de « zéro artificialisation nette des sols » brident les initiatives locales en faveur de la réindustrialisation. Enfin, la concurrence est vive avec les promoteurs spécialistes de l’immobilier d’habitation. Cela étant dit, le gouvernement a reçu le 21 juillet dernier le rapport du préfet Rollon Mouchel-Blaisot sur le foncier industriel. Il y aurait de 90 000 à 150 000 ha de friches industrielles. Le pays aurait besoin de 20 000 à 30 000 ha pour mener à bien le plan de réindustrialisation « France 2030 ». Nous attendons avec impatience l’accélération de sa mise en œuvre.

AMMag : Pourquoi une accélération ?

C.S. : La première phase de « Territoires d’industrie » a été lancée fin 2018 et a pris fin l’année dernière. L’objectif d’associer les collectivités, l’État et les industriels dans une démarche commune est louable. Mais force est de constater qu’en cinq ans 149 territoires ont été identifiés et 127 sites labellisés, soit environ un peu plus d’un par département. C’est très peu. Si l’État a des ambitions, ce sont les collectivités qui, à la fin, décident ou non d’investir dans des infrastructures. Je retiens d’abord que les friches sont généralement situées dans des « no man’s land », ce qui pose aussi des problèmes d’accessibilité. Il faut ensuite apporter l’électricité, l’eau potable, les canalisations des eaux usées, la fibre, prendre en charge certaines voies partagées, etc. L’ensemble de ces équipements représente un investissement assez lourd, voire très lourd pour les petites communes… celles justement qui accueillent de nombreuses friches. Par ailleurs, toutes les collectivités ne se sont pas encore approprié le sujet des « Territoires d’industrie ».

AMMag : Quels obstacles doit vaincre une société comme la vôtre pour faire d’une friche un terrain « prêt à l’emploi » ?

C.S. : Le principal obstacle est la qualité du sol (pollution), ensuite les moyens mis en œuvre en matière d’infrastructures d’accueil (accès, mobilité, réseaux…), puis le délai d’autorisation du permis de construire. D’un point de vue administratif, le schéma est toujours le même. Après le dépôt de permis de construire, il faut compter trois mois d’instruction, auxquels il faut ajouter trois mois de purge des recours. Un cauchemar pour tout investisseur. Si c’est un établissement qui doit recevoir du public, il faut ajouter au premier délai deux mois supplémentaires. Mais si le service départemental d’incendie et de secours [SDIS] juge la documentation insuffisante, le délai s’allonge encore de plusieurs semaines. Avant le dépôt, il a fallu préparer les documents avec l’architecte, travailler sur le sondage des sols (pollution, archéologie…) et la biodiversité. Et, plus tôt encore, il fallait découvrir le terrain et négocier son prix. Dans le meilleur des cas, il s’écoule un an avant que le chantier ne démarre. Dans cette hypothèse, il faut ajouter plusieurs mois avant qu’un industriel ne puisse s’y installer. Au total, de un an et demi à deux ans se seront écoulés – un délai trop long en comparaison de pays voisins, pays dont nous devrions nous inspirer pour accélérer notre réindustrialisation. Le projet de loi « industrie verte » en cours devrait permettre de diviser par deux les délais d’ouverture ou d’agrandissement d’une usine en France. Roland Lescure, le ministre délégué chargé de l’Industrie, promet neuf mois réels au lieu de dix-sept aujourd’hui. Faisons le vœu qu’il réussisse son défi.

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